Chant VI Non, des mystères saints l'auguste obscurité Je ne dispute point contre un maître suprême. Dans un sombre nuage il veut s'envelopper : Que me faut-il de plus ? Je marche avec courage, Il a dit, et je crois. Aux pieds de son auteur Mais pourquoi non content de ce grand sacrifice, Je m'aime : faut-il donc que m'armant de rigueur, Sacrifice sanglant ! Guerre longue et cruelle ! Il veut, jaloux d'un bien qu'il n'a fait que pour lui, Suis-je un objet si grand pour tant de jalousie ? Ne lui ravira point ce cœur qu'il doit avoir. Mais pour quelque douceur rapidement goûtée, Croirons-nous qu'en effet il s'irrite si fort ? Je sais qu'il nous demande un amour sans partage. Et lorsqu'à tant de maux tu mêles quelques biens, Ce n'est pas qu'attendant de toi les biens solides, L'arbitre renommé du plaisir élégant L'art de se rendre heureux ne s'apprend point d'un maître Qui mettant de sang froid la prudence à l'écart, Ce rimeur enjoué m'inspire la tristesse. L'ennui de ses malheurs dicta ses vers badins. Il me chante l'amour d'une voix affligée ; Du mépris de la mort me parle à chaque pas. Illustres paresseux, dont Pétrone est le maître, Vous me vantez en vain vos jours délicieux : Hélas ! Dans ce temps même à vos cœurs favorable, Consacra ses plaisirs sous des noms empruntés, Le sage dut toujours, honteux de sa faiblesse, Leurs charmes quelquefois peuvent nous entraîner. Mais contre un ennemi qui souvent est aimable, Un seul moment de paix me rend-il criminel ? Quand il veut que pour lui renonçant à moi-même, J'étouffe la nature, et maître infortuné, Dans sa morale enfin trouverai-je des charmes, Ainsi parle un mortel qui combat à regret Frappé de sa grandeur, il la croit, il l'adore : Il repousse le Dieu dont il craint la rigueur. Et cherchant un accès dans ce cœur indocile A la religion si j'ose résister, A la divine loi quand je crains de souscrire, Je veux choisir mon joug, et qu'entre ces deux lois, Sans doute qu'indulgente à nos âmes fragiles N'allons point toutefois les chercher dans Platon, Ces fastueux censeurs de l'humaine faiblesse, Peut-être en leurs écrits, remplis d'austérité Faisons parler ici des docteurs moins rigides. De leurs vers enchanteurs, et faits pour nous charmer, Cherchons-y ces devoirs qui, tous tant que nous sommes, De Jupiter partout l'homme est environné. Jetons-nous dans le sein de sa bonté suprême. Notre encens pourrait-il par sa stérile odeur, D'une main criminelle il rejette l'offrande. A l'un de ses côtés la justice debout, Et le glaive à la main demandant ses victimes Mais de l'autre côté la clémence à genoux, Quand pour moi si souvent j'implore la clémence, Je plains le malheureux qui prétend m'outrager, Si je n'ose haïr l'ennemi qui m'afflige, Je donne à ses défauts des noms officieux ; Il m'excuse à son tour, et de mon indulgence Ma charité s'étend sur tous ceux que je vois. Le pauvre, et l'étranger, le ciel me les envoie, Des biens qui pour moi seul n'étaient pas destinés. D'une âme généreuse ô volupté suprême ! Cet amour des humains sera toujours en lui Voudrait-il, alarmant ma tendresse jalouse, Ô crime, qui des lois craint partout la rigueur, Qui nourrit en secret un désir téméraire, La pudeur est le don le plus rare des cieux, Le plus riche ornement de la plus riche plaine, L'amour, le tendre amour, flatte en vain mes désirs : Des passions sur moi je réprime l'empire. Libre d'ambition, de soins débarrassé, Et pauvre sans regret, ou riche sans attache, Je ne vais point, des grands esclaves fastueux, Faux honneurs ! Vains travaux ! Vrais enfants que vous êtes, Dégoûté justement de tout ce que je vois, Je demande, et saisis avec un cœur avide, Dons à peine obtenus qu'ils nous sont emportés, L'estime des mortels flatte peu mon envie. Que mes jours pleins de calme et de sérénité, Ce jour même des miens est le dernier peut-être : Je l'attends cette mort sans crainte ni désir : L'exemple des Catons est trop facile à suivre. Voilà donc cette loi si pleine de douceurs, Quoi ! Je trouve partout la morale cruelle. Tibulle m'en réveille un triste souvenir, La règle de mes mœurs, cette loi si rigide, Oui, c'est dans ces écrits dont j'étais amoureux, Que m'ordonne de plus, à quel joug plus pénible Mon choix n'est plus douteux, je ne balance pas. L'amour de mon bonheur me pressait de la suivre. Ô grand Dieu, sans changer, j'obéis à ta loi. Loin d'y perdre, Seigneur, j'y gagne l'assurance Que dis-je ? La vertu qui m'avait enchanté, De ses attraits, hélas ! Admirateur stérile, Qu'était l'homme en effet qu'erreur, illusion, Les sages dans leurs mœurs démentaient leurs maximes, Législateur impur il en grossit le cours. Sénèque dans ses mœurs est souvent un Ovide. Des mains de Solon même un temple fut construit. Et quel voluptueux rougira de ses vices Toute lumière alors n'était qu'obscurité, Je déteste ces jeux d'où Caton se retire, De l'humaine vertu reconnaissons l'écueil. Il n'aime que lui seul ; dans ce désordre extrême Mais qui pourra porter ce grand coup dans son cœur ? Elle seule a détruit le plus grand des obstacles : Le cœur n'est jamais vide. Un amour effacé, Et tout objet qu'efface un objet plus aimable, L'homme s'aimait : Dieu vient, et lui dit, aimez-moi, Nouveau commandement. Le maître qui le donne L'homme se sent brûler d'une ardeur qui lui plaît. Tout en lui jusqu'alors lui parut admirable, Il s'abaisse : du sein de son humilité Et quand ce n'est plus lui, mais en lui Dieu qu'il aime, Sitôt que par l'amour l'ordre fut rétabli, Et qu'est-ce que l'amour trouverait de pénible ? D'innombrables martyrs se hâtent d'y courir. Les saints s'arment contre eux de rigueurs salutaires. Qui toujours innocents se punissent toujours. Le corps n'a plus d'empire, et l'âme toute pure Deux tendres cœurs qu'unit la main qui les a faits, Et leur chaîne est pour eux aussi sainte que chère. Au plus juste courroux qui peut s'abandonner, Théodose est en pleurs, Ambroise en est la cause : A ces traits éclatants reconnaissons les fruits, Un culte sans amour n'est qu'un frivole hommage : Ses temples sont nos cœurs. Quel terme, direz-vous, Si vous le demandez, vous n'aimez point encore. Quel autre objet un cœur pourrait-il recevoir ? Ne forgeons point ici de chimère mystique. De toute autre leçon méprisant la langueur, La grandeur, ô mon Dieu, n'est pas ce qui m'enchante, Ma seule ambition est d'être tout à toi. Je ne soupire point après la renommée. Ma gloire n'ait jamais que tes yeux pour témoins, Tu me tiens lieu du jour dans cette nuit profonde. Les hommes vainement m'offriraient tous leurs biens : Que ta croix dans mes mains soit à ma dernière heure, C'est dans ces vifs transports que s'exprime l'amour. A peine il jette encor de languissantes flammes. Qu'êtes-vous devenus, beaux siècles, jours naissants, Et vous, premiers chrétiens, ô mortels admirables, Vous n'aviez qu'un trésor et qu'un cœur entre vous ; Haine affreuse, ou plutôt impitoyable rage, Au Dieu qui ne prescrit qu'amour et que pardon. N'ont-ils jamais marché que sous ton oriflamme ? Tous ces héros croisés, qui d'infidèles mains Leurs crimes ont souvent fait gémir l'infidèle. Mais détestons toujours celui qui parmi nous Quels barbares docteurs avaient pu nous apprendre, Armés du fer, saisi d'un saint emportement, A la fin de mes chants je me hâte d'atteindre, Vous me verriez peut-être attaquer vos erreurs, Enfants du même Dieu, nés de la même mère, Unis tous autrefois, maintenant écartés, Vos pères ont été les frères de nos pères, Avez-vous pour toujours rompu des nœuds si chers ? De coupables aïeux déplorables victimes, Revenez au drapeau qu'ils ont abandonné. Que craignez-vous ? Quand même à nos aînés perfides, Ce Dieu tant outragé doit pardonner un jour ? Oui, le nom de Jacob réveillant sa tendresse, Il n'a point épuisé pour eux tout son trésor : Ils sont prédits les jours, où par de pleurs sincères Tremblons à notre tour ; ils sont aussi prédits Ce temps fatal approche. ô liens salutaires, Mais un sublime esprit vous brave hautement, Il doute, il en fait gloire, et sans inquiétude Tout était adoré dans le siècle païen : Il faut qu'en tous ses points l'oracle s'accomplisse : jusqu'au terrible jour tant de fois annoncé : Jour de miséricorde, ainsi que de vengeance. Déjà j'entends des mers mugir les flots troublés : Le feu vengeur s'allume, et le son des trompettes Ce jour est le dernier des jours de l'univers. Et pour en séparer les saints, son héritage, La terre, le soleil, le temps, tout va périr, Elles s'ouvrent. Le Dieu si longtemps invisible, Entouré du tonnerre, au milieu des éclairs, Le grand rideau se tire, et ce Dieu vient en maître. Ses anges ont partout fait entendre leur voix, Le genre humain tremblant, sans appui, sans refuge ; Ebloui des rayons dont il se sent percer, Il n'est plus temps. Il voit la gloire qui l'opprime, Lieu de larmes, de cris, et de rugissements. Infidèles chrétiens, cœurs durs, âmes ingrates, Hélas ! Jamais du ciel ils n'ont connu les dons Lorsque le bonze étale en vain sa pénitence ; Apprend que contre lui bizarrement cruel De sa chute surpris le musulman regrette Et loin des voluptés qu'attendait son erreur, Le vrai chrétien, lui seul, ne voit rien qui l'étonne. Il voit le même Dieu qu'il a cru sans le voir, Mais il n'a plus besoin de foi ni d'espérance : Sainte religion, qu'à ta grandeur offerts D'une muse, toujours compagne de ta gloire, La sienne... qu'ai-je dit ? Où vais-je m'égarer ? Sois de tous mes désirs la règle et l'interprète : |