Chant V Le verbe égal à Dieu, splendeur de sa lumière, Aux rayons du soleil eussent ouvert les yeux : Eternelle puissance, et sagesse suprême, Fils de Dieu, cependant fils de l'homme à la fois, Faible et fière raison, dépouille ton audace. Etonnés de son bruit, nous sentons son pouvoir : Quelque trouble ici bas que mon âme ressente, Sur une ancre appuyée, elle a le front voilé ; Viens, dit-elle, sur moi. L'éclat que je fais luire, Est-ce le temps de voir, que le temps de la nuit ? Tu dois à chaque pas, plus adorer qu'entendre, Faut-il, dit le déiste, enchaîner sa raison ? Et pouvons-nous penser qu'en nous l'Etre suprême Il l'alluma sans doute, et cet heureux présent Aujourd'hui presque éteinte, une flamme si belle Mais la foi le ranime avec un feu plus pur. Quand par bonté pour eux un Dieu se manifeste ! Jusqu'au temps prescrit le grand livre est scellé. Pourrons-nous pénétrer ses mystères sublimes, La nature à nos yeux sans cesse vient s'offrir : Que de siècles perdus sans que rien nous attire Et lorsque nos besoins, le temps et le hasard Instruits de quelques faits, en savons nous les causes ? Philosophe hardi, d'en suivre le dessein. Là tu trouves écrit, arrête, téméraire, Oui, même en ces objets si présents à nos yeux Et celui qui captive une mer furieuse, Pour sonder la nature ils font de vains efforts, Partout elle nous crie, adorez votre maître : D'une attentive étude embrassant le parti, A-t-il tout parcouru ? Pour fruit de tant de peine, Tu rougis, fier mortel : prête à me démentir, De tes fameux progrès cherchons quelle est la gloire : L'intérêt nous donna nos premières leçons : Nous firent d'un temps cher devenir économes, Pouvions-nous mieux régler nos travaux et nos jours, Le peuple qui du Nil cultivait le rivage, Pour mieux les contempler, sous différents cantons Cassini, Galilée, excusez vos ancêtres : Ne virent dans le ciel que chiens, béliers, taureaux ; Saturne et Jupiter vanteront leur cortège. Ces premiers noms donnés par de vils laboureurs Ô ! trop heureux l'enfant qui naît sous la balance ! Horace frémira, s'il sait que le hasard Sur la voûte des cieux notre histoire est écrite. Achetons leur faveur. Richelieu, Mazarin, Ses yeux lisent un chiffre impénétrable aux vôtres ; D'une éternelle nuit le peuple menacé Mais quel corps menaçant vient troubler la nature Qu'un si grand appareil annonce de fureur ! D'un important courroux ces députés sinistres, Le ciel a du loisir, ou nous fait trop d'honneur : De tes astres, ô ciel, n'éteins pas la lumière, Rassurez-nous, devins, charmes, enchantements, Et tant d'autres secours qu'embrasse une ignorance, De toutes nos erreurs quand le nombreux essaim L'amour d'un doux climat l'emporta dans la Grèce. La musique, les vers, les danses, et les jeux, Consacrant aux beaux arts ses yeux et ses oreilles, Leurs sages rarement en parurent frappés : Tout plein de son héros, au lieu de la nature Ambitieux de vaincre, et non de discourir, L'étude a peu d'attraits pour les maîtres du monde. La voûte dont le cercle a pour base la mer, Et le vieux océan, père de la nature, Tels étaient leurs progrès, lorsque du vrai savoir Faible par sa grandeur, ce n'était qu'avec peine D'esclaves trop nombreux son empire accablé, Et lorsque par les mains du conquérant Hérule Sa chute fit trembler celui des Constantins. Jeta les fondements d'un pouvoir formidable, Le peuple que l'Euxin vomit de ses marais, La gloire du croissant, et la terreur du monde, Que nos plus beaux palais de cendres soient couverts ; Sont-ils brûlés comme eux, vainqueur impitoyable ? Que crains-tu ? Son empire est partout affermi, Trouvant l'art d'obscurcir le maître des ténèbres, Qui le dilemme en main prétendent de l'abstrait Quand viendra ton vengeur, ô raison, qu'on outrage ! Trouvait de tous côtés d'ardents admirateurs, L'intérêt cependant va nous rapprocher d'elle. Qu'au delà de ce monde il est un monde encor, Nous volons. Quel que soit l'objet qui nous anime, Si longtemps sur sa feuille attaché dans un coin, Un aimant (le hasard dans l'air le fit suspendre) Révéla cet amour qu'on ne soupçonnait pas : Nos flottantes forêts couvrent le sein de l'onde. Des deux Indes pour nous elle ouvre tous les ports ; Tant d'objets différens, tant de fruits, tant de plantes, Donnent enfin naissance aux désirs curieux, Faibles amas du sable, ouvrage de la cendre, L'un de l'autre distants, l'un à l'autre opposés, Font crier en Zélande ! ô surprise ! ô merveille ! De Ptolémée alors, armé de meilleurs yeux Tout change : par l'arrêt du hardi Galilée Dans un brillant repos, le soleil à son tour, Va voir tourner le ciel, et la terre elle-même. Et six ans de prison forcent au repentir, La terre cependant à sa marche fidèle, D'un monde encor nouveau que d'habitants obscurs, Pourquoi sans spectateur tout un peuple en silence Sans un verre nos yeux ne le connaîtraient pas. Ne nous en donne point pour voir tous ses ouvrages : Où s'enferme ce dieu, de ses secrets jaloux, Vers de terre, à la terre arrêtez votre vue. A plus d'une merveille eut su nous attacher, Naître l'heureux dégoût des questions si folles, Le héros de Stagyre allumait la fureur. Rassurons-nous pourtant. Le jour commence à naître : Il vit toujours caché : mais ses brillants travaux Ils tiennent tous de lui, leurs armes et leur gloire, Nous pouvons aujourd'hui porter plus loin nos pas, Si la France n'eût point produit cette lumière, Par eux l'esprit humain, qu'ils honorent tous deux, Mais sitôt que trop loin l'un ou l'autre s'avance, Descartes le premier me conduit au conseil, Là d'un cubique amas, berceau de la nature, Là ces angles qu'entre eux brise leur frottement, Pour la première fois fait tourner la matière, Newton ne la voit pas ; mais il voit, ou croit voir Exerçant l'un sur l'autre un mutuel empire, Tandis qu'au même instant et par les mêmes lois Qui peut entre ces corps de grandeur inégale L'algèbre avec honneur débrouillant ce chaos, Vous que de l'univers l'architecte suprême Des travaux qu'avec vous je ne puis partager, Dites-moi quel attrait à la terre rappelle La pesanteur... déjà ce mot vous trouble tous. Au sortir d'un repas, dans votre sein paisible, Et quel heureux vainqueur a pu si promptement Qui bientôt liqueur douce ira de veine en veine Dans un autre combat, non moins cher à nos vœux, Attaquer, conquérir, enchaîner l'ennemie, A fait trêve avec nous le jour de son sommeil ? Elle rallume un feu qui dans nos yeux pétille. S'égarent dans leur course : en désordre comme eux La mort prête à frapper, déjà lève sa foudre. De systèmes savants épargnez-vous les frais, Avouez-nous plutôt votre ignorance extrême. Et nous voulons encor qu'à d'indignes sujets Quand ce corps, de notre âme esclave méprisable, De la religion si j'éteins le flambeau, Déiste, que pour toi la nuit devient obscure, A tes yeux comme aux miens peut-elle rappeler Si la terre n'est point un séjour de vengeance, La peste la ravage, et d'affreux tremblements Le froid la fait languir, la chaleur la dévore, L'être pensant, qui doit tout ordonner, tout voir, Jouet infortuné de passions cruelles, Et le jour de sa paix est le jour de sa mort. Tout périra, le feu réduira tout en cendre. Par quel caprice un Dieu détruit ce qu'il a fait ? S'il ne l'a pu ce Dieu ; qu'a-t-il donc d'admirable ? Tu t'efforces en vain, toi qui prétends tout voir, Pour moi j'attends qu'un jour Dieu lui-même l'enlève : J'en vois assez, et vais t'apprendre sa leçon, Oui, le tout doit répondre à la gloire du maître : Le temple inanimé, sans le prêtre est muet. Doit par la voix de l'homme adorer la puissance, Ce tribut dura peu : l'ordre fut renversé, La nature perdit toute son harmonie ; De l'homme, et de ses fils le déplorable sort Mais ces fils n'étaient pas ; une race future... Est-ce à notre justice à mesurer les coups ? La terre ne fut plus un jardin de délices. Et maintenant si prompte à les exécuter, Hélas ! Cette lenteur à prendre ses victimes Une seconde fois frappant notre séjour La terre par ce coup jusqu'au centre ébranlée, Vit sur son sein flétri les cavernes s'ouvrir, Et s'élever sur elle en ténébreux nuages, Les saisons en désordres et les vents en courroux Et toute la nature, en ce temps de souffrance, Au criminel soumise, obéit à regret, Oui tout nous est voilé, jusqu'au moment terrible, Précipitant du ciel tous les astres éteints, Cette unique clarté si longtemps attendue. Il se montre, il se cache ; et par l'obscurité De quoi se plaindre ? Il peut nous ravir sa lumière : Qui la cherche, est bientôt pénétré de ses traits ; Ainsi de nos malheurs j'explique le mystère. Et je ne vois partout que rigueurs et bontés, Si ma religion n'est qu'erreur et que fable, Quel ordre ! Quel éclat ! Et quel enchaînement ! Combien d'obscurités tout à coup éclaircies ! Dogmes, raisonnement, écrits, tradition, A la vérité même en tout point est semblable. Nous sait de toutes parts si bien envelopper, Quand votre Dieu pour vous n'aurait qu'indifférence, Permettre à cette erreur, qu'il semble autoriser, Par quel crédit encor, si loin de sa naissance De l'Islande à Java, du Mexique au Japon, Nos prêtres de leur zèle ont allumé les flammes ; Des esclaves partout ont chéri leurs vainqueurs : Si des rives du Gange aux rives de la Seine, D'éloquents talapoins, munis d'un long sermon, Ou que, prédicateurs au bon sens moins contraires, De par le grand prophète en termes foudroyants Quelle moisson de cœurs feraient de tels apôtres ? Un Dieu né dans le sein de la virginité, Ne commande par eux que pleurs, et pénitence. Qui peut à sa pagode arracher un chinois ? Le Dieu qui l'a prédit opère ce miracle. Sa loi sainte sera publiée en tous lieux : Quoique captive enfin la raison qui m'éclaire Mais son flambeau s'unit au flambeau de la foi, Le verbe s'est fait chair ; je l'adore, et m'écrie : De l'horreur du néant à ton ordre tout sort : Ô sagesse, ô pouvoir dont le monde est l'ouvrage, Quand sous nos traits caché, tu parus ici bas, Aujourd'hui que ta gloire éclate à notre vue ; De superbes esprits, ivres d'un faux savoir, Leur déplorable sort ne doit point nous surprendre, L'aveugle environné de l'astre qui nous luit, En vain ces insensés parlent d'un premier être : Ouvre leur cœur, mes vers ne le pourront ouvrir, Moi-même ai-je oublié que ton arrêt condamne Aux hommes sans ton ordre ose annoncer ta loi ? L'impiété s'armait d'une fureur nouvelle : Et j'ai cru que ma main la pourrait soutenir : Et mon zèle peut-être irrite ta colère, Ô crainte, que la foi doit chasser de mon cœur ! Du prince des enfers que la rage frémisse ; Quand mes yeux le verraient tout prêt à succomber, |