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Chant IV Les empires détruits, les trônes renversés, Et tous ces grands revers, que notre erreur commune Sont les jeux de celui, qui maître de nos cœurs, Et de nos passions réglant la folle ivresse, Les conquérants n'ont fait par leur ambition Nos haines, nos combats ont affermi sa gloire : Je sais bien que féconde en agréments divers Nous vivons du mensonge, et le fruit de nos veilles Mais à des faits divins mon écrit consacré, Je laisse à Sannasar son audace profane : L'âme de mon récit est la simplicité. Le Dieu qui dans ses mains tient la paix et la guerre, Avant que le lien de la religion Il veut que l'univers ne soit qu'un seul empire. Mais un état si vaste, en proie aux factions, Il veut que sur la terre aux mêmes lois soumise, De ses ordres nouveaux les ministres divins. Si l'univers n'a plus pour maître qu'un seul homme. Ranimant ses soldats par César abattus, Dans ses hardis vaisseaux une reine ose encore Elle fuit l'insensée : avec elle tout fuit, Jusqu'à Rome bientôt par Auguste traînées L'Arabe, le Gelon, le brûlant Africain, Vont orner du vainqueur la marche triomphante. Rapporte les drapeaux à Crassus arrachés. La foudre les atteint, tout subit l'esclavage. De son antique orgueil reçoit le châtiment, Paisible souverain des mers et de la terre, Il est fermé ce temple, où par cent nœuds d'airain Tant de complots détruits, tant de fureurs trompées, Aux champs déshonorés par de si longs combats Le marchand loin du port, autrefois son asile, Les poètes surpris d'un spectacle si beau Ils annoncent que Rome après tant de miracles Un siècle, disent-ils, recommence son cours, Déjà descend du ciel une race nouvelle ; Tout y deviendra pur, et ses premiers forfaits, Tant de prédictions qui frappent les oreilles, Vers l'orient alors chacun tourne les yeux : Qui sortant des climats où le jour prend naissance, Jérusalem s'éveille à des bruits si flatteurs : Des prophètes sacrés parcourant les volumes, Ont décrit tant de fois les jours délicieux. Où le fer, dont la dent rend les guérets fertiles, La justice et la paix s'embrassent devant nous. N'ose plus aujourd'hui s'irriter contre un autre : Sous un joug étranger nous avons succombé, Mais notre opprobre même assure notre gloire : Cependant il paraît à ce peuple étonné Qui sortant tout à coup d'une retraite obscure, A sa voix sont ouverts des yeux longtemps fermés, D'un mot il fait tomber la barrière invincible, Et la langue qui sort de la captivité, Des malheureux traînaient leurs membres inutiles, Le mourant étendu sur un lit de douleurs La mort même n'est plus certaine de sa proie. Celui que du tombeau rappelle un cri puissant, Il ne repousse point les fleuves vers leur source : On lui demande en vain des signes dans les cieux. Ce qu'il fait d'éclatant, c'est sur nous qu'il l'opère ; Il guérit nos langueurs, il nous rappelle au jour : Mais c'est peu d'enchanter les yeux par ces merveilles. Par lui sont annoncés de terribles arrêts ; Lui seul n'est point ému des secrets qu'il révèle ; Il étonne le monde, et n'est point étonné : Il paraît ici bas peu jaloux de la sienne. Il n'adoucit jamais aux esprits révoltés C'est en vain qu'on murmure, il faut croire, il l'ordonne. D'un tel législateur quel sera le destin ? A souffrir, disait-il, que son héros s'apprête : S'il se montre à la terre, à la terre arraché, Paix secrète du cœur, gage de l'innocence, L'oracle est accompli. Le juste est immolé. Au Tibre en un moment le bruit s'en fait entendre. Ils volent : l'univers est rempli de leur voix. Quel que soit le forfait, la victime l'expie. Celui que vos bourreaux traînaient en criminel, Ce Dieu dont la parole enfanta la lumière, Mais la mort est vaincue, et l'enfer dépouillé. Il vit, nos yeux l'ont vu. Croyez. Parole étrange ! Simples dans leurs discours, simples dans leurs écrits, Ils comptent leurs erreurs, leur honte, leur faiblesse. J'apprends aussi par eux leur infidélité, A l'aspect de la mort il s'attriste, il frissonne : Et le calice amer qu'on lui doit présenter, Est-il donc d'un héros d'écouter la nature ? L'imposture, féconde en discours séduisants, Leurs écrits, dites-vous, dépouillés d'artifice, Mais peut-être on les trompe, et séduits les premiers, Si tous ces faits sont faux, ont-ils pu les écrire A peine aux yeux mortels leur maître est disparu : Qu'elle a d'autorité l'histoire, qu'en silence Mais en quel triste état te découvrent mes yeux, Qu'as-tu fait à ton Dieu ? Sa vengeance est certaine. Son bras de jour en jour s'appesantit sur toi, Combien d'avant-coureurs annoncent ta ruine ! Et les embrasements, et la peste, et la faim, Le nuage est crevé, je vois partir la foudre. Ce n'est point à Titus que les lauriers sont dus : Oui sans doute le ciel les punit d'une offense : Ils l'ont bien mérité ce châtiment affreux. Le père a pour longtemps proscrit ses fils rebelles : Il n'a point toutefois arraché l'arbre ingrat ; Sur cet arbre étonné que de branches nouvelles, Que vois-je ? L'étranger dépouille l'héritier, De ces nouveaux enfants que la mère est féconde ! Les maîtres des pays par le Nil arrosés, Ont déjà de la croix embrassé la folie. Et réunis entre eux pour la première fois, A l'auteur du soleil le Perse offre un hommage, Des déserts libyens le farouche habitant, Se ses sauvages mœurs adoucit la rudesse. Athènes ouvrant les yeux reconnaît le pouvoir Mieux instruite aujourd'hui, cet autel qu'elle honore, Il est trouvé ce dieu tant cherché par Platon : Les Gaulois détestant les honneurs homicides, Apprennent que pour nous le ciel moins rigoureux, Et qu'un cœur qu'a brisé le repentir du crime, Tes illustres martyrs sont tes premiers trésors, Où la Saône enchantée à pas lents se promène, Toi que la Seine embrasse, et qui doit à ton tour Ville heureuse, sur toi brille la foi naissante. Sur vos têtes aussi luit cet astre divin, Vous qui buvez les eaux du Tage, et de l'Ibère ; Et vous que séparant du reste des humains, Lieux où ne put voler leur aigle ambitieuse, Au grand nom qui du monde a couru les deux bouts, La croix a tout conquis, et l'église s'écrie,
Et dans Rome est fondé son trône inébranlable, Sur ses degrés sanglants je ne vois que des morts Dans ces temps où la foi conduisait aux supplices, Les pasteurs ne briguaient qu'un supplice plus grand. Quel spectacle en effet à mes yeux se présente ! De bitumes couverts, ils servent de flambeaux : Dans ces barbares jeux, théâtre du carnage, Que de feux ! Que de croix ! Que d'échafauds dressés ! Injuste contre eux seuls, le plus juste des princes, Pour eux tout empereur, Trajan même est Néron. Ils demandent la mort, ils courent aux supplices : Les rigueurs des tyrans leur semblent d'heureux dons : Qui peut leur inspirer la haine de la vie ? Quelquefois, je l'avoue, en étouffe l'amour. D'un trépas éclatant cherche la renommée, Mais cet immense amas de femmes et d'enfants, Tant d'hommes dont les noms sont restés sans mémoire, Plaignez, me dira-t-on, leur triste aveuglement, Ose offrir à son dieu, stérile sacrifice, Victime d'un usage antique et rigoureux, Pour rejoindre un époux que souvent elle abhorre. Egarement cruel ! Loi digne de nos pleurs ! Respectons des mortels que Dieu même autorise. Et le ciel n'a jamais favorisé l'erreur. Cet infernal tyran, dont nos maux font la joie : Des corps qu'il tourmentait il s'enfuit consterné. Il usurpa l'empire, et sans peine et sans gloire, Sans que l'art eût besoin d'éblouir sa raison, Mais ces temps n'étoilent plus : la Grèce la première On la cherchait, Platon par ses fameux écrits Pleines de ses leçons, des écoles célèbres, Le grave philosophe est partout révéré ; Son crédit peut nous perdre, et sa haine y conspire. Que peuvent contre nous leurs traits injurieux ? Approfondir des faits récents à la mémoire, Qui ne sait que railler, évite un vrai combat. On impute le crime à ceux dont la doctrine Ainsi que dans leurs mœurs, tout est pur dans leurs lois. Et que même aux Nérons on doit l'obéissance. Le prince son image, et maître des humains, Sujets, obéissez ; le murmure est un crime. Des peuples révoltés s'arment de toutes parts, Ont-ils donc par faiblesse une âme si soumise ? La nature obéit, et tremble devant eux. Que de tristes mourants, qui fermaient leur paupière, Et du fond des tombeaux que de morts rappelés ! Quand d'un soleil brûlant la chaleur les embrase, Et tandis que les feux écartent le Germain, Le soldat demi-mort, dans une heureuse pluie De ce bienfait, le prince admire les auteurs, Enchantement divin qui commande au tonnerre ! Elle change : bientôt l'objet de ses horreurs, Constantin triomphant fait triompher la gloire Les temples sont déserts, et le prêtre interdit abandonne un autel toujours vide d'offrandes. D'un silence honteux subit les tristes lois. Aux tombeaux des martyrs, fertiles en miracles, On implore un mortel qu'on avait massacré, A ce torrent vainqueur Rome longtemps s'oppose, Mais contre elle il est temps de venger les chrétiens. Tant de cris qu'éleva sa fureur idolâtre, Tu vas lui demander compte de ses arrêts. Et Rome va tomber d'une chute éternelle, Oui, c'est ce même Dieu qui sait à ses desseins Sous d'orgueilleux vainqueurs quand les villes succombent, Dans le monde ébranlé jette au loin la terreur ; Les ministres d'un Dieu qui punit des coupables, Que prétend Attila ? Que demande Alaric ? Ils sont, sans le savoir, armés pour la querelle Devant leurs bataillons il fait marcher l'horreur : De sa cendre renaît une ville plus belle, Je la vois cette Rome, où d'augustes vieillards, Souverains sans armée, et conquérants sans guerre, Le fer n'est pas l'appui de leurs vastes états ; Terrible par ses clefs, et son glaive invisible, Par l'anneau d'un pêcheur autorisant ses lois, Ils en ont le respect, et l'humble caractère. D'une religion si prompte en ses progrès Peindre les souverains humiliant leur tête, Quel champ je m'ouvrirais ! Quel récit glorieux ! L'arbre couvre la terre, et ses branches s'étendent De l'aurore au couchant on adore aujourd'hui Dans le temps que ce Dieu parmi nous daigna vivre, Des rives du Jourdain, au sommet du Thabor ? Je vois à ses côtés Moïse avec Elie. Ses apôtres enfin sont sortis du sommeil. C'est en mourant pour lui, qu'ils lui rendent hommage : Je le vois : c'est lui-même, et je n'en puis douter. La voix de tout ce sang que l'amour fit répandre, Quand le Thabor brilla de l'un de ses rayons, Le joug qu'il nous impose est, dit-on, trop pénible ; Nos esprits et nos cœurs sont en captivité. De ces plaintes je veux repousser l'injustice : Poursuivons le déiste en ses détours divers. |