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Chant III Cette ville autrefois maîtresse de la terre, Domina si longtemps sur toute nation : Avec plus de douceur, et non moins d'étendue, Ces peuples que l'erreur rendit ses ennemis, Tout le Nord est chrétien, tout l'Orient encore Je vois le fer en main le superbe ottoman Il me semble d'abord que l'un et l'autre en guerre ; Mais de la Mecque en vain le fameux fugitif, En vain près du tombeau dont Médine est si fière, Le livre, dont l'aspect fait trembler le turban, Que dicta, nous dit-on, la colombe au prophète, Que le Christ avant lui, premier ambassadeur, Oui, le rival du Dieu que les chrétiens m'annoncent, Ô chrétien, je t'admire, et je reviens à toi : Des oracles du ciel es-tu dépositaire ? Si tu veux, répond-il, chercher sa vérité, L'histoire t'apprendrait sa naissance et son âge, Mais avec l'univers son âge prend son cours : A peine du néant l'homme venait d'éclore, Et mes premiers écrits, annales des humains, Quand le ciel eut permis qu'à la race mortelle, Aux neveux d'Israël (Dieu les aimait alors) Les fils de ses neveux conservèrent le gage Dans ce livre par eux de tout temps révéré Ils ont peur qu'une main téméraire et profane La loi, qui de leur long et cruel châtiment Du Dieu qui les poursuit annonçant la justice, Sans villes, et sans rois, sans temple et sans autels ; Pourquoi de tant de maux leur demander la cause ? Là tu suivras ce peuple, et liras tour à tour Je m'arrête, et surpris d'un si nouveau spectacle Nés d'un sang, qui jamais dans un sang étranger, Nés du sang de Jacob, le père de leurs pères, Même religion, même législateur : Et tant de malheureux répandus dans le monde Mèdes, assyriens, vous êtes disparus : Et toi, fier sarrasin, qu'as-tu fait de ta gloire ? Ces destructeurs d'états sont détruits par le temps, Tandis qu'un peuple seul, que tout peuple déteste, Que nous font, disent-ils, vos opprobres cruels, Non, non. Le Dieu vivant, stable dans sa parole, Il n'a point déchiré le contrat solennel Sur ses heureux enfants une étoile doit luire, En vain par son oubli Dieu semble nous punir : Fidèles au milieu de nos longues misères, Le grand jour, il est vrai, qui leur fut annoncé, Gardons-nous toutefois, trop hardis interprètes, Maudit soit le mortel par qui sont calculés Non que de ses serments l'éternel se repente ; L'esclave avec son maître a-t-il droit de compter ? Sacrilèges chrétiens, jaloux de nos richesses, Hélas ! De quelle ardeur, si ce maître eût paru, Qu'il vous ferait gémir sous le poids de ses armes, Ainsi parlent les juifs : terrible aveuglement ! Leur roi promis du ciel, s'il n'en peut point descendre, Ils attendront toujours : cet oracle est rendu : Des antiques auteurs de ce fameux volume, Sans doute il est sacré ce livre dont je vois Respectant désormais sa vérité divine, Je l'ouvre, et lis d'abord que brillant de splendeur Qu'il ne put sans orgueil soutenir tant de gloire. Et perdit tous ses droits à la félicité, Mais que révoqua tous la suprême justice. Réglait déjà le sort de l'ange ténébreux. Quand tout, pour nous punir, s'armait dans la nature, Et dans le même arrêt dont il fut accablé, A cet instant commence et se suit d'âge en âge, Et son réparateur alors comme aujourd'hui, On peut donc l'expliquer par ce livre admirable, Le nuage s'écarte, et mes yeux sont ouverts. J'y vois entrer le crime et son désordre extrême. Le nœud se développe, un rayon qui me luit, Mais l'enfant innocent peut-il pour héritage ? ... Et ce n'est plus encor qu'un chaos que je vois. Quand je crois, la lumière aussitôt m'est rendue : L'ouvrage fut parfait, il est défiguré. Le père criminel d'une race proscrite Pour prolonger des jours destinés aux douleurs, La branche en longs éclats cède au bras qui l'arrache : L'homme avec son secours, non sans un long effort, Et tandis qu'au fuseau la laine obéissante Frappe à coups redoublés l'enclume qui gémit, Le voyageur qu'arrête un obstacle liquide, Retenu par la peur, par l'intérêt pressé, Bientôt ils oseront, les yeux vers les étoiles, Avant que dans les pleurs ils pétrissent leur pain, Un ruisseau par son cours, le vent par son haleine, Mais ces heureux secours, si présents à leurs yeux, Homme né pour souffrir, prodige d'ignorance, Tandis que le besoin, l'industrie, et le temps Enfantés par l'orgueil tous les crimes en foule Le premier que les champs burent avec horreur Ces malheureux tombant d'abîmes en abîmes Qu'enfin, lent à punir, mais las d'être outragé De la terre aussitôt les eaux couvrent la face : Mais un juste épargné va rendre en peu de temps La terre toutefois jusque-là vigoureuse Des animaux alors on chercha le secours ; Les poètes, dont l'art par une audace étrange De leurs récits menteurs prirent pour fondements Et pour mieux amuser les oisives oreilles, De là ces temps fameux qu'ils regrettent encor, Où, sans qu'il fût besoin de lois ni de supplice, Siècle d'or, sous ce nom puisqu'ils l'ont célébré, Sobre dans ses désirs, l'homme pour nourriture La mort tardive alors n'approchait qu'à pas lents. Il essaya le fer sur l'animal timide. L'innocente brebis tomba sous sa fureur ; Le fer devint bientôt l'instrument de sa perte : Lorsqu'un déluge affreux en fut le châtiment. Fable, histoire, physique, ont un même langage. Et même l'on dirait que pour s'accréditer Laissons la toutefois s'égarer dans sa course, La terre sort des eaux, et voit de toutes parts Tout renaît, nos malheurs, et nos crimes ensemble. La crainte fait chercher des asiles plus sûrs ; De ceux de ses voisins on jure la ruine. Homme injuste et cruel, que dans son repentir Malheureux dont il vient d'abréger la carrière, Le ciel t'a-t-il encor accordé trop de jours ? Quel intérêt les forme au grand art de la guerre ? Ils la possèdent toute, en n'y possédant rien. Ce ruisseau... de mon bras il faut que tu l'obtiennes. On s'empare d'un arbre ; on usurpe un buisson. Dans son vaste domaine il met cette rivière : L'Alexandre s'avance, et n'est plus un brigand : Que d'un nouvel empire alarme la naissance. La terre sur son sein ne voit que potentats, Et sur elle on prépare aux majestés suprêmes, Mais lorsque par le fer leur droit est établi, Et recherchant ce Dieu dont la mémoire expire, De l'astre qui pour lui renaît tous les matins, Aux feux inanimés qui roulent sur leurs têtes, Des dons de leurs pareils, bientôt reconnaissants, Devant son Osiris l'Egypte est en prière : Grossièrement taillée une pierre en tient lieu. Du hurlant Anubis la ridicule image Je ne vois chez Ammon qu'horreur, que cruauté : Du barbare Moloch assouvit la colère Près de ce dieu cruel, un dieu voluptueux Chamos qui de Moab engloutit les victimes, Que de gémissements et de lugubres cris ! Une dent sacrilège en a flétri les charmes ; Et toi, savante Grèce, à ces folles douleurs, La foule de ces dieux qu'en Egypte on adore De l'immortalité tu feras le présent : Nymphes, faunes, sylvains, divinités fécondes, Chaque arbre aura la sienne, et les romains un jour Prodigueront sans fin la majesté suprême. Par arrêt du sénat entreront dans les cieux, Terre, quelle est ta gloire, et quel temps de lumière Courons, l'argent en main, entourer ses autels : Dans Delphes, dans Delos elle fait sa demeure : A Dodone sans peine on peut l'entretenir, Pourquoi le demander, s'il est inexplicable ? Des maux que nous craignons, pourquoi nous assurer ? N'importe : les destins que le ciel nous prépare, Et s'ils ne sont écrits dans le cœur d'un taureau, Ô sagesse d'Athènes ! ô gravité de Rome ! Où va-t-elle quand Dieu cesse de l'éclairer ? Ce seul coin de la terre est sauvé du naufrage. L'ordre des éléments se renverse à sa voix ; Qu'au premier jour du monde il lui dicta lui-même, Ce peuple si sincère attestant aujourd'hui Dans ses solennités en garde la mémoire. L'on y verrait encor la mer ouvrir ses eaux, Les fleuves effrayés remonter à leur source, Mais frappé tout à coup par l'éclat glorieux, Chez un peuple qui marche au milieu des miracles Dans un temps qu'à des jours et tranquilles et longs, Il semble que le ciel ait borné ses promesses ; Des hommes pleins du Dieu dont ils sont inspirés. Ils n'y vont quelquefois, ministres inflexibles, Aux rois épouvantés ils n'adressent leur voix, Chassés, tristes objets d'opprobres et de haines, Dans les antres cachés, contents dans leur malheur Admirables mortels dont la terre est indigne, Que sur une autre terre, et sous un ciel nouveau Ils répètent que Dieu las du sang des génisses, Verra la pure hostie immolée en tous lieux : Du juste de Sion, que les îles attendent, De son immense gloire ils sont environnés, Ce juste à leurs regards n'est plus reconnaissable. Frappé du ciel, chargé du poids de nos malheurs, Avec des scélérats, ainsi que leur complice, Quel autre que le Dieu qui dévoile les temps Ils nous font espérer un maître redoutable, Son trône est entouré de rois humiliés, Son règne s'étendra sur les races futures. C'est le pasteur mourant d'un troupeau dispersé. Saisi d'étonnement un peuple est en alarmes : David qui voit de loin ce brillant rejeton, Du sein de l'éternel sortir avant l'aurore, Du roi de Babylone admirable captif, Elevé sur son trône, à son fils qui s'avance Mais tout change à tes yeux : ce fils est immolé ; Le grand prêtre éperdu dans la fange se roule : C'est ce même captif qui voit tous à leurs rangs, Il voit naître et mourir leurs superbes empires. Alexandre punit tes vainqueurs florissants. Elle renversera toute grandeur suprême ; Ô Rome, tes débris seront les fondements Mais ce n'est point assez qu'annonçant ces miracles, Tout rempli du dessein qu'il doit exécuter, A nos yeux à toute heure il en montre une image, Que les plus tendres mains conduisent au bûcher Paisible sacrifice, où le prêtre tranquille Que l'enfant le plus cher, en esclave vendu, Aimé, craint, adoré des villes étrangères, Pour le sang d'un agneau, que rempli de respect Que de tant de maisons au glaive condamnées Qu'en attachant ses yeux sur un signe élevé, Que le jour de tristesse où le grand prêtre expire, Des asiles prescrits à leur captivité, Que par les criminels proscrit pendant l'orage Qu'il revive, et ne soit victime que trois jours, Tout m'annonce de loin ce que le ciel projette ; J'arrive pas à pas au terme désiré, Doit de son règne saint établir la puissance, |